Conférence à Paris

Le sud-est de l’Europe, confluence des cultures et des langues
Conférence du 14 juin 2007 à la Maison de l’Europe à Paris
donnée par
S.A.S. le Prince Radu de Hohenzollern-Veringen
Représentant Spécial du Gouvernement de Roumanie

Mesdames et Messieurs,

Son Altesse Royale la Princesse Margarita et moi-même vous remercions de tout cœur pour ce soir. Il este fort symbolique le fait que, dans la Maison de l’Europe, en guise de hôtes de Madame Catherine Lalumière, deux membres de la Famille Royale roumaine viennent parler du plurilinguisme, cultures et confluences sur le continent européen. Nous tenons remercier Monsieur Christian Tremblay, le président de l’Observatoire européen du plurilinguisme, ainsi que notre compatriote, Madame Marina Dumitriu, pour leur généreuse initiative.

La Roumanie, un pays du centre de l’Europe, qui dénombre 23 millions d’habitants, d’une superficie de 237.500 km2, est une île latine au milieu d’un océan slave, formé par la Russie, l’Ukraine, la Serbie, la Bulgarie et la Pologne, en particulier. Au fil des XIXème et XXe siècle, deux des armes les plus efficaces à la sauvegarde de l’identité nationale de mon pays ont été la culture et les langues. La génération de mes parents a utilisé la langue française pour lutter contre la russification soviétique, et la présence de la langue française dans les écoles a été un sérieux rival pour la langue russe, obligatoire dans les années ‘50 et ‘60. De la même manière, un siècle avant, les Roumains majoritaires de la Transylvanie, donnaient aux enfants des noms romains, pour se protéger de l’emprise de la culture austro-hongroise qui était imposée par les autorités de l’empire gouvernant. En même temps, le théâtre a joué un rôle énorme, en dehors de la scène, représentant, au cours des cinq décennies de communisme, un des seuls, sinon le seul vecteur d’une vérité que mes compatriotes ne pouvaient assumer publiquement.

La Roumanie a toujours eu une particularité: assise au carrefour des grands empires et des différentes cultures, sa géographie, son histoire, sa politique ses traditions croisées et, finalement, sa propre culture ont bénéficié d’un mélange d’influences particulièrement riches; ce n’est, malheureusement, pas toujours le cas de l’architecture de notre pays. La Roumanie a eu du mal a conserver au fil des siècles son patrimoine architectural. On peut à peine trouver une belle maison du XVIII-eme siècle. Et cela parce que les influences extérieures ne venaient jamais doucement, mais imposées durement par la force. Très souvent il coulât du sang et de l’espoir dans les rues de l’histoire roumaine. Les voisins de la Roumanie ont eu la particularité d’être puissants (les Ottomans, les Austro-hongrois, les Russes), mais par rapport à eux, la Roumanie a eu une autre particularité: ses racines latines, perdues dans un océan de traditions slaves, germaniques où musulmanes. Cette particularité a joué un rôle essentiel dans le processus d’accomplissement de la culture roumaine qui a trouvé dans ce contraste géographique, politique et linguistique une source d’énergie et d’inspiration infinie.

Il ne faut pas chercher l’intérêt des roumains pour la langue française et les autres langues européennes uniquement dans la latinité de notre culture. On pourrait dire que, à la fin du XIXème siècle et au début du XXe siècle, converser, lire et écrire en langue française représentait l’apanage de l’aristocratie, et dans un certain sens il est vrai: le paysan roumain de l’époque ne parlait pas le français et n’allait pas au théâtre régulièrement. Mais si nous pensons que toute la culture française des années ‘20 et ‘30 et puis ‘50, ‘60 notamment à Paris, a été marquée par des roumains, nous allons découvrir une autre dimension du liant profond entre la Roumanie et la langue française. Il n’y a presque pas un seul domaine culturel dans la France de l’époque qui ne soit pas marqué par des roumains: la littérature par Eugène Ionesco et Tristan Tzara, la musique par Darclée, George Enesco, Dinu Lipatti, Clara Haskil, Sergiu Celibidache, la sculpture par Brancusi, le théâtre par Elvire Popesco et Édouard de Max, la philosophie par Emil Cioran et Mircea Eliade. La génération qui a précédé le communisme a trouvé dans l’espace de la francophonie une façon de s’exprimer et de survivre. Si bien que, par exemple, l’œuvre de Ionesco, membre de l’Académie Française, a été écrite presque intégralement en français.

Il faut savoir que le premier spectacle de théâtre jamais créé en Roumanie, en 1814, l’a été en langue française. Ceci s’est passé à Iasi, ma ville natale, qui est la capitale de la Moldavie, l’une des trois principautés roumaines qui formèrent plus tard la Roumanie. L’opéra a connu une longue carrière en Roumanie, au cours du XIXème siècle, interpreté en langue française, italienne, russe ou allemande. Il ne faut pas oublier que Bucarest fut surnommé, jusqu’avant la deuxième guerre mondiale, “Le Petit Paris”.

L’Europe occidentale (un espace que nous Roumains appelions jusque il y a dix-sept ans “le monde libre”), a eu la malchance de ne pas connaître, durant les dernières cinq décennies, le trésor culturel de l’Europe de l’est, malgré la distance géographique relativement petite. Et pourtant, il nous est habituel d’associer l’art de la danse à Maïa Plisetskaya ou à Rudolf Nureev, la musique à Prokofiev, à Bartok ou à Enesco, la sculpture à Brancusi et le théâtre à Eugène Ionesco et à Elvire Popesco.

Depuis la chute du mur de Berlin l’Europe occidentale a accueilli et découvert beaucoup d’artistes de l’est (danseurs, acteurs, musiciens) qui ont apportés quelque chose de leur mystère et de leur art. Beaucoup de projets, que la Princesse Margarita de Roumanie et moi-même développons en Europe depuis une décennie, sont liés à la France, à la Grande Bretagne, à l’Allemagne, à l’Espagne ou encore à l’Italie.

Je me fais un plaisir de mentionner ici le formidable destin de Haricléea Darclée, une merveilleuse soprano Roumaine, née dans la petite ville de Braïla, et qui créa d’inoubliables rôles d’opéra à Paris, comme en Europe et aux États-Unis. Muse de Puccini, qui écrivit pour elle “La Tosca”, Darclée fut la première interprète mondiale du rôle en 1901; elle inspira Verdi, Leoncavallo et Mascagni et représenta, pour un certain nombre d’années, une espèce de Sarah Bernard de la musique. Il y a eu aussi une belle jeune femme de la Bessarabie, Maria Cebotari qui éblouit les mélomanes français et d’ailleurs.

Quoi dire d’Elvire Popesco, qui non seulement vécut près de la Tour Eiffel, mais dont la célébrité fut souvent comparée avec celle de la tour même. Ou encore Edouard de Max, ce raffiné et intelligent comédien Roumain qui brilla toute sa vie sur les scènes parisiennes, comme Maria Ventura, également, elle qui, sans jamais quitter définitivement la Roumanie fut, pour deux décennies, à chaque saison, une des stars de la scène parisienne.

La brillante génération de Ionesco comprend aussi d’autres noms qui ont leur place particulière, unique dans la culture française: le philosophe Mircea Eliade, qui fut aussi un romancier apprécié, le philosophe mil Cioran; il ne faudrait pas oublier Brancusi, ce sculpteur qui reste encore tellement présent dans la spiritualité française et qui a réussi la performance d’installer, pour l’éternité, un morceau de village roumain au cœur de la Ville Lumière, devant le centre Pompidou. Brancusi reste aussi fameux par la réplique donnée à son maître, Auguste Rodin. Quand Rodin lui a demandé pourquoi veut-il quitter l’atelier de son maître, Brancusi a répondu: “Parce qu’à l’ombre des grands arbres, l’herbe ne pousse jamais”.

Et puis, George Enesco reste non seulement un exceptionnel violoniste et compositeur Roumain, mais aussi un nom de référence de la musique française, comme le furent plus tard les pianistes Dinu Lipatti et Clara Haskil. Marthe Bibesco fut aussi un nom de résonance dans la littérature française, comme dans la vie sociale, culturelle et politique parisienne du début du dernier siècle.

Le XXe siècle parisien a connu, dès son début, un vrai exode d’artistes et d’hommes de science Roumains; parmi eux, les constructeurs d’avions Traian Vuia et Henri Coanda, les pionniers, à côté d’Aurel Vlaicu, de l’aviation roumaine et européenne. Sans parler d’autres illustres ingénieurs, avocats, médecins ou encore professeurs d’université.

Un moment particulier dans l’histoire commune des deux pays le fut la très originale visite à Paris, en mars 1919, de la Reine Marie de Roumanie, l’arrière grande mère de mon épouse. Assise sur le sofa du salon du train royal roumain la Reine, épouse du Roi Ferdinand de Roumanie, avait déjà commencé à recevoir les journalistes parisiens bien avant l’arrivé du train à Milan. Entourée d’immenses bouquets de fleurs et de “prédécesseurs de Frédéric Mitterrand et de Stéphane Bern”, la Reine transforma son parcours de Milan à Paris en une fantastique offensive “Public Relations”. Ainsi, une fois arrivée à Paris, Raymond Poincaré, le Président de la République, s’est vu obligé de la recevoir à l’Elysée, avec les honneurs militaires, ce qui n’était pas du tout prévu, la Reine n’étant pas un Chef d’état, mais un Souverain consort. Le jour même, elle parla (dans un Français impeccable) devant les membres de l’Académie des Lettres et des Arts, la première femme jamais acceptée à parler de cette tribune et la première à être membre de l’Académie. Elle fut aussi décorée de la Légion d’Honneur et de la Croix de guerre, membre de l’Institut et de la Société des Gens de Lettre, ainsi que membre du Cercle Interallié, qui porte bien son nom, l’endroit où son arrière petite fille, la Princesse Margarita a fait, il y a un an, un discours sur la Roumanie. Enfin, sa rencontre avec le “tigre”, c’est-à-dire avec Clemenceau! Cette rencontre qui a décidé l’aide politique de la France pour la réunification de la Roumanie après la première guerre mondiale. Cette femme, la Reine Marie, celle qui avait traversé en long et en large le front roumain pendant deux ans, parlant avec les blessés et encourageant les combattants de la première guerre mondiale, celle qui avait été surnommée “Mama Regina”, cette femme a réussi à rester dans le bureau de Clemenceau pour 90 minutes, au lieu de 20, comme prévu. Nous ne saurons jamais ce que les deux ont parlé. Misogyne et très probablement pas particulièrement monarchiste, Clemenceau aurait dit, après vingt minutes: “Restez, Madame, je ne suis pas pressé. En fait, que désirez – vous?” La Reine aurait répondu: “La Bessarabie, la Bucovine, le Banat et la Transylvanie”. Celui surnommé en cachette “le tigre” a répliqué: “Mais Madame, vous me demandez la partie du lion”. Alors la Reine: “C’est ce que la lionne demande au tigre”. Si le dialogue ne peut, quand même, être confirmé, la réunification de la Roumanie, oui.

La Roumanie d’aujourd’hui essaie de toutes ses forces à redevenir ce pays inspiré et mystérieux ou un prince charmant est venu en 1866 consacrer sa vie à un peuple dont il ne parlait pas la langue.

Les pays de l’est se trouvent devant un fait qui change le rythme et le contexte de leur avenir: l’accession dans l’Union Européenne et dans l’OTAN. Et ce fait représente le dernier chapitre de la Guerre Froide, effaçant la division du continent européen. Vos pays connaissent bien nos efforts et ont compris l’importance historique de la Roumanie ainsi que ce que peuvent les Roumains apporter comme contribution, dans l’avenir. Il est, par conséquent, mon devoir aujourd’hui, de remercier vos pays pour avoir contribué à l’ouverture de la Roumanie vers le monde.

L’année 2007 reste exceptionnelle non seulement pour mon pays, mais aussi pour le continent tout entier. Le début du troisième millénaire, que certains analystes politiques place en 1989 ou bien en 1991, est pour nous tous un point de référence et un nouveau début. Le retour de l’espace sud-est et central européen énergique, inventif, riche et mystérieux au sein de la famille continentale est non seulement quelque chose de très important, mais aussi quelque chose de passionnant.

N’hésitez pas de venir à Bucarest, le Petit Paris de l’entre deux guerres. Nous espérons tellement que la Roumanie trouvera maintenant le moyen d’achever le processus de sa modernisation, brutalement interrompu par la deuxième guerre mondiale et ses sinistres conséquences, et que nos amis Français seront à nos côtés dans un dialogue éclairé par nos valeurs communes.

1 comentariu

  1. Ioan BUCUR says:

    Bravo. Un superb articol ce face cinste Romaniei si valorilor ei de-a lungul timpului si in special in ceea ce priveste legaturile stranse dintre cultura romaneasca si cea franceza.

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